Dernières nouvelles

Une mortalité inexpliquée

Fort de leur nouvelle machine à traire à assistance électronique, Lucie et Nicolas Raynal, éleveurs caprins dans l’Aveyron, espéraient bien réduire leur temps de travail. Mais très vite, leurs chèvres montrent des signes d’inconfort et d’épuisement. Le lait n’est pas au rendez-vous et la mortalité explose. 

Dès 2015, Lucie et Nicolas Raynal envisagent de mécaniser l’exploitation afin d’alléger les tâches quotidiennes. Après l’automatisation de l’alimentation et la mise en place du paillage suspendu, vient le temps de repenser la salle de traite pour réduire le temps de travail de 2h à 1h30. « Les 24 décrochages à flux de lait sont remplacés par 32 compteurs à lait » explique Nicolas Raynal. Durant les travaux en septembre 2017, la traite continue. « Les chèvres vivent bien la transition ». L’assistance électronique ne fonctionne pas encore. Le câblage prendra dix jours. « Pendant ce temps, nous trayons en manuel. Tout va très vite. C’est agréable » se réjouit Lucie Raynal. Le jour du branchement de l’électronique – « le 25 septembre 2017 » – la traite est ralentie. Les chèvres piétinent et refusent de se laisser brancher. À cette date, les mises bas vont bon train. « J’ai la tête dans le guidon » reconnaît Lucie qui doit aussi dresser les chèvres aux nouveaux couloirs de montée. « Elles avaient de la ration pendant la traite, ce qui n’était pas le cas avant. Je me suis dit que peut-être ça les perturbait »

Maux de têtes et vertige

À son tour, Lucie montre des signes de fatigue qu’elle met d’abord sur la charge de travail. « À la traite, les maux de tête deviennent plus forts et plus longs au fil des jours. Ils cessent lorsque j’en sors ». Prise de vertiges, l’éleveuse s’accroche au quai « par peur de tomber ». Matin et soir, après la traite, elle retourne se coucher, épuisée. « Je n’avais même plus la force de manger ». Nicolas ressent aussi des fourmillements dans les bras et des picotements tandis qu’un événement grave se produit pendant les mises bas. « Notre salarié fait une myocardite. Un pompier volontaire de 22 ans, sportif et en excellente santé ! ». Lucie fait alors le lien avec la salle de traite, tout en se disant : « c’est pas possible, je suis folle ! ». Mais un vétérinaire conseillera au couple de ne plus y emmener les enfants. « À l’intérieur du bâtiment, nous avions une sensation de rayonnement ». Le chien n’a pas attendu la consigne pour fuir et les oiseaux ont subitement déserté le site. 

Production laitière en chute libre

Côté production,  « Le manque de lait est criant au vu des valeurs alimentaires ingérées ». Sur les conseils de leur vétérinaire-nutritionniste Pierre-Emmanuel Radigue, les éleveurs revoient la ration. « Mais la production ne remonte toujours pas ». L’effectif chute. « De 6 % avant septembre 2017, le taux de mortalité grimpe à 20 puis 28 % ». Sur trois campagnes de lait, 300 chèvres meurent. « Certaines dans mes bras pendant la traite » dit Lucie, un tremblement dans la voix. Plus de mille chevreaux décèdent à dix jours sur cette même période. « ça ne pouvait plus durer ». Au printemps 2018, les éleveurs débranchent l’électronique de traite. « Les symptômes disparaissent ». Et ne le remettent en route qu’au passage des experts. « À chaque fois, des chèvres meurent de façon inexpliquée »

Le temps des expertises

Le premier est mandaté par leur assureur. « Il nous conseille de faire des autopsies ». Mais le vétérinaire d’élevage s’y refuse. « Elles se retourneront contre vous » explique-t-il aux époux Raynal. « Si je conclus à de l’acidose, la partie adverse dira que c’est une mauvaise ration. Si c’est pulmonaire, votre ventilation sera mise en cause ». Sur l’hypothèse d’un lien entre la mortalité des chèvres et l’électronique de traite, le vétérinaire est catégorique : sans preuve scientifique, pas de lien de causalité. « Il avait eu un cas similaire ». Suivront ensuite sur la ferme un aréopage d’experts, l’installateur, le fabricant et leurs assureurs respectifs. « Quinze personnes rassemblées dans le bâtiment et qui finissent par ressortir en grand nombre pour “prendre l’air” avant d’y retourner » ironise Lucie Raynal. La cause du malaise ? « Une odeur d’ammoniaque ! Mettez des ventilateurs nous disent-ils ! Nous avons donc appelé le GDS : il a relevé 5 ppm alors que c’est à partir de 10 qu’il commence à réfléchir à une solution »

Retour à un système mécanique

À l’été 2018, dans le cadre d’une enquête sur les installations électriques, la MSA Midi-Pyrénées mandate l’Apave qui inspecte le bâtiment. Le terrain est en grande partie conducteur. « La machine à traire repose sur un sol chargé en oxyde de fer ». Bâtiment déconnecté de son alimentation électrique, des tensions de contact de 4,7 volts en courant alternatif 50 Hz sont mesurées entre les bras en inox de la machine et la masse (terre). « Chaque poteau et chaque partie métallique du bâtiment captent les courants de fuite. Sa prise de terre, pourtant très bonne, offre une faible résistance ». Favorisant les montées en potentiel des masses. « Mais la source n’est pas identifiée ». L’équipotentialité sera donc renforcée ainsi que les prises de terre sur toutes les installations y compris sur la machine à traire. « Il y avait plusieurs nonconformités ». Les compteurs à lait (infrarouge) seront remplacés par des fluxmètres. « Ça a eu des effets sur nous mais pas sur les chèvres. Nous avons alors remplacé les pulsateurs électroniques par des mécaniques ». Sans résultat. 

Les carte électroniques hors du bâtiment

Le miracle a lieu en février 2020. « Un électronicien nous conseille d’enlever les cartes électroniques des boîtiers ». Quatre jours après, la production de lait remonte, les chèvres ingèrent 25 % de matières sèches en plus et se maintiennent enfin en lait. « À l’automne 2020, nous avons fini par installer une nouvelle machine Panazoo. Nous avons conservé la partie mécanique de traite (lactoduc, réseau de vide et d’air, faisceaux) et changé la partie électronique et électrique ». La mortalité encore présente dans l’élevage correspond aux jeunes nés durant cette période de forte perturbation et « aux chèvres trop impactées ». Le troupeau, très fragilisé, mettra du temps à retrouver son rythme. « Il va falloir le renouveler progressivement » explique Nicolas Raynal dont le préjudice ne sera pas réparé. « Je n’ai pas la force de me battre contre le pot de fer ». Mais l’éleveur conserve l’ancienne machine dans l’espoir « de trouver quelqu’un qui accepte de faire des recherches sur notre site ». Un signe ne trompe pas : les oiseaux sont de retour sur la ferme. 

Nathalie Barbé

 

EN CHIFFRES…

Le Gaec du Claux (Aveyron) 

  • deux associés Lucie et Nicolas Raynal et un salarié temps-plein jusqu’au début 2019 ;
  • 450 chèvres Saanen ;
  • une ration à base de méteil ensilage, de luzerne et d’aliment fibreux complet ;
  • une SAU de 75 ha (16 ha céréales, 12 ha méteil, 15 ha mélanges suisses et 32 ha foin et pâtures) ;
  • producteurs livreurs chez Lactalis depuis 2001, engagés dans la démarche « cap sur l’avenir ».

 

Lisez également

Un aperçu de la diversité de la filière caprine !

Au menu du numéro de décembre 2024, Élevages Caprins Magazine vous offre un aperçu de la diversité de la filière caprine !  Agriculture biologique, grands troupeaux, élevage conventionnel, transformation fromagère, modèle familial... Cette filière se distingue par la pluralité de ses pratiques et son dynamisme.