Les abcès de Morel affectent les chèvres du Gaec de la Garenne. Les associés de cette exploitation expérimentent avec succès un nouveau protocole visant à renforcer l’immunité de leurs animaux. Si les abcès n’ont pas totalement disparu, la situation est désormais sous contrôle.
À Blanzay dans le département de la Vienne, les associés du Gaec de la Garenne ne badinent pas avec la santé de leurs chèvres. Il faut dire qu’ils comptent dans leur rang une vétérinaire. Émilie Takacs a rejoint l’entreprise familiale en 2018, après une expérience de praticienne dans des élevages hors-sol. Les protocoles sanitaires sont donc suivis avec sérieux et rigueur. Cet accent mis sur la santé se retrouve à tous les niveaux de la conduite d’élevage. Ainsi, sur cette exploitation, plus aucune chevrette ni aucun bouc ne sont achetés à l’extérieur pour éviter l’importation de maladies. « Cette pratique a été mise en place après l’achat, dans les années 2000, de 40 chevrettes contaminées par des abcès de Morel. Malgré la mise en place d’une quarantaine, le pathogène a proliféré, jusqu’à toucher 100 % de nos chevrettes », se souvient Émilie. Ces abcès, formés de pyogranulomes (capsules sous cutanées) renfermant du pus, sont localisés au niveau des nœuds lymphatiques. Si les chevrettes, entre 2 et 18 mois, sont les plus sensibles, les chèvres adultes, multipares, peuvent aussi être touchées par cette pathologie, mais dans des proportions bien plus modestes. L’agent pathogène en cause se nomme Staphylococcus aureus subsp. anaerobius ou microcoque de Morel. C’est une espèce modifiée de staphylocoque avec une pathogénicité différente, expliquant une hyper-sensibilité des jeunes. La forme clinique se caractérise par des abcès sur les zones corporelles sensibles aux frottements ou agressées par des éléments contondants. Présent dans le pus qui s’échappe d’un abcès suintant, le germe peut survivre plusieurs mois dans la chèvrerie, les cornadis, et plus longtemps encore dans les équipements en bois. Il se répand d’un animal à l’autre, d’un abcès suppurant à une lésion cutanée. Les animaux se contaminent également au contact des niches à germes que sont les cornadis ou les entrées de salle de traite, ou tout autre élément acéré dans le bâtiment sur lequel ils se frottent et se blessent. La maîtrise de cette problématique passe par les soins apportés aux animaux et par des mesures préventives visant leur environnement. Ainsi, la mise en place de mesures d’hygiène spécifiques s’impose. Un lavage au nettoyeur à haute pression et une désinfection minutieuse du lieu de vie après une phase critique participent à repousser le prochain épisode d’abcès caséeux. Il est également important de donner aux caprins suffisamment d’espace à l’auge et de les écorner afin de limiter les lésions et donc les transmissions. Enfin, la pratique d’une mise en quarantaine des nouvelles venues s’impose. Chez les chevrettes, les abcès de Morel se localisent principalement au niveau des épaules, de la tête et du cou. « Les premiers abcès apparaissent généralement sur les mandibules, puis se propagent sur les flancs. Au plus fort de la crise, nous en retrouvions même au niveau des mamelles et cela signifiait la réforme de l’animal. Outre un problème esthétique et d’hygiène, les abcès génèrent aussi de la douleur et, au final des contre-performances zootechniques », souligne l’éleveuse. Les associés ont cherché à trouver une issue en actionnant plusieurs leviers. Émilie pratique ainsi un perçage systématique des abcès mûrs, suivi d’une vidange du pus et d’une désinfection. Elle veille à prodiguer ces soins hors de la case d’élevage. Cette méthode reste la plus efficace pour maîtriser la propagation intra-élevage. La désinfection rigoureuse du matériel de soin entre chaque chevrette est également une priorité.
Une pathologie mal connue
Reste que cette pathologie est compliquée à maîtriser car les connaissances des mécanismes de défense immunitaire des chevrettes face au microcoque de Morel et des méthodes complémentaires à la prévention sont encore trop peu nombreuses. « Nous avons essayé d’utiliser un vaccin contre le staphylocoque, sans réel succès ». Sur les conseils de la Sica Alicoop, l’éleveuse a donc expérimenté une nouvelle approche alimentaire basée sur Alti Boost, un complément cherchant à stimuler une meilleure réponse immunitaire des chevrettes. Ce dernier se distribue à hauteur de 6 gr/chèvre/jour avant l’âge de six mois, puis 8 g après 6 mois. Il contient du cuivre, du zinc, du sélénium sous forme facilement assimilable, ainsi que des principes actifs de plantes (extraits de plantes et huiles essentielles). Ce cocktail de substances naturelles a un effet antioxydant et améliore également la cicatrisation de la peau. « Le but est d’apporter notre complément à l’animal avant l’entrée de la bactérie dans son organisme », précise Séverine Brunet, en charge de la recherche et développement chez Alicoop. Depuis la mise en place du protocole en 2019, les abcès n’ont certes pas totalement disparu mais la situation est sous contrôle. « Dans les premiers comptages avant utilisation de l’Alti Boost, seules 25 % des chevrettes n’avaient pas d’abcès. Aujourd’hui, 70 % d’entre elles en sont exempts. Quant aux multipares, désormais, seules 5 % d’entre elles développent ce type de grosseur contre 50 % auparavant. Par ailleurs, outre la baisse du nombre d’individus infectés, nous constatons que les abcès mûrissent plus vite et que la cicatrisation est plus rapide. Les primipares produisent plus de lait, environ 0,2 kg / chèvre et par jour », conclut l’éleveuse qui ne souhaite en aucun cas faire marche arrière.
Erwan Le Duc
Le Gaec de la Varenne (Vienne) en chiffres
- quatre associés : Émilie Takacs, Jean-François, Nicolas et Brigitte Cordeau, un salarié et un apprenti ;
- une moyenne de 650 chèvres en production ;
- 108 chèvres inséminées ;
- une production moyenne par chèvre de 850 kg de lait avec un TB de 39 g/l, un TP de 33 g/l et une teneur en cellules de 1,7 million/ml ;
- une SAU de 300 ha sur deux sites ;
- une production de luzerne, blé, colza, maïs, tournesol, pois, féverole, avoine, triticale, ainsi que des prairies naturelles et temporaires ;
- une ration composée d’ensilage de maïs, de luzerne et de foin de luzerne.