En 2020, Lionel, Joël et Martine Monsarat saisissent la justice pour une affaire de courants parasites. Éleveurs à Ciré-d’Aunis (Charente-Maritime), ils ont perdu plus de 200 chèvres entre 2011 et 2019. Un préjudice qu’ils attribuent au dysfonctionnement du transformateur électrique d’Enedis situé à huit mètres de la chèvrerie. Mais pour le tribunal de La Rochelle, qui a rendu sa décision le 29 juillet 2022, le lien de causalité ne peut être établi. Retour sur ce combat.
Pour la famille Monsarat, le cauchemar commence à l’hiver 2011. « Les chèvres refusent d’aller à la traite et ne s’abreuvent plus ». Le nombre de mammites par mycoplasmes explose, affectant particulièrement les premières lactations. En 2012, un pic d’infection entraîne la perte de 100 jeunes sur 180, « terrassées en huit-quinze jours ». En 2013, 60 nouveaux décès contraignent les éleveurs à racheter 30 chevrettes. « Une seule survivra ». Du jamais vu depuis la création de l’élevage en 1987 par Joël et Martine. « Le matin, je n’osais même plus entrer dans le bâtiment » murmure l’éleveuse. Leur fils Lionel, qui les a rejoints en 2002, apprend malgré lui à repérer les chèvres fragiles, celles qui « ne passeront pas la journée ». Impuissant, il dresse la liste des anomalies qui deviennent leur lot quotidien : oedèmes pulmonaires, problèmes articulaires, naissance de chevreaux malformés. La production laitière s’écroule : « on passe de 290 000 litres en 2011 à 160000 litres en 2012-2013. Tout ça en pleine crise du lait de chèvre » déplore Joël Monsarat. L’entreprise est placée en redressement judiciaire en 2015.
« En 2012, les premières lactations sont décimées »
UN STRESS D’ORIGINE ÉLECTRIQUE
Le vétérinaire qui suit l’élevage depuis 20 ans, Jérôme Desprès, intervient à renfort d’antibiotiques, puis d’homéopathie : « rien n’y fait » souligne Joël Monsarat. Des analyses sont menées pour déterminer le type de mycoplasme infectant les chèvres, « un problème sanitaire souvent lié au stress créé par un choc électrique ». Dans l’élevage, le vétérinaire a relevé la présence de courants parasites et vagabonds. « Il y avait aussi des désordres inexpliqués qui l’ont alerté. Le câble des trayeuses se desserrait. Sur le disjoncteur, les vis bougeaient. Il fallait les revisser tous les jours ! » témoigne Lionel Monsarat. Pratiquant la géobiologie, Jérôme Desprès repère également des failles qui passent sous la chèvrerie. « Il nous a fait planter des tubes en fer à chaque coin du bâtiment pour casser le chemin des courants parasites, ça a un peu atténué ».
EN AVRIL 2019, RETOUR À LA NORMALE
Au printemps 2019, alors que se pose la question de la survie de l’exploitation, l’enfer s’arrête soudainement. À une centaine de mètres de la chèvrerie, sur une parcelle cédée par les éleveurs, un investisseur a bâti un hangar de stockage recouvert de panneaux photovoltaïques. L’installation est mise en route en mai 2019. « Entre-temps, Enedis me prévient par courrier que le transformateur au pied de mon bâtiment sera remplacé pour les besoins de la production photovoltaïque ». Ce qui est fait le 8 avril 2019. « Le jour de mon anniversaire » s’amuse Joël Monsarat. « Deux jours après, nos chèvres sont redevenues vivantes, leur poil soyeux et la production laitière est remontée » raconte Lionel. « On n’a jamais pensé que nos problèmes pouvaient venir du transformateur. « On n’a jamais pensé que nos problèmes pouvaient venir du transformateur. On s’est remis en cause tous les jours pendant huit ans » dit avec amertume Martine. « Aujourd’hui, on a presque retrouvé notre production laitière d’avant 2011 mais il a fallu renouveler tout le troupeau » déplore Lionel.
« Avec tout ce que nous avons perdu, nous aurions pu racheter une ferme »
LA DIFFICILE PREUVE DU LIEN DE CAUSALITÉ
Ce retour à la normale « ne suffit pas à impliquer le transformateur dans la naissance des difficultés » estime le tribunal de la Rochelle dans son jugement du 29 juillet 2022. Soulignant l’absence d’information sur la conformité de l’installation électrique de l’exploitation, pouvant elle aussi être une source de courants vagabonds. « Nous allons étudier la possibilité de faire appel de cette décision avec notre avocat François Lafforgue » précise la famille Monsarat qui a rejoint en 2019 l’Association nationale Animaux sous tension (Anast). « Quand nous avons compris que nous n’étions pas seuls, nous y sommes allés. Pour notre fierté. Nous savons que ce ne sera pas facile ».
NATHALIE BARBE
EN CHIFFRES
GAEC MONCABRI (CHARENTE-MARITIME)
- date de création : 1987
- 2 associés et une retraitée active
- une SAU de 60 ha, dont 35 en location (35 ha de prairies naturelles, maïs, blé, orge) ;
- un cheptel de 410 Saanen
- une alimentation produite sur la ferme (orge, maïs, et tournesol), enrubannage (méteil, vesce, trèfle, avoine) et des protéines achetées à l’extérieur (tourteau, lin extrudé et soja).
- une production laitière pour 2021-2022 de 800 litres/chèvre .