Les Français plébiscitent le pâturage, qui offre par ailleurs la meilleure rémunération ramenée au litre de lait. Restent néanmoins quelques « verrous techniques à lever ».
L’herbe représente « un potentiel de développement économique, environnemental et social des systèmes laitiers caprins ». En tout cas sur le papier car, au moment de financer un dossier, les banques sont plus facilement convaincues par les projets de 250 chèvres et plus, privilégiant le foin et les concentrés, plutôt que par les troupeaux de moins de 100 chèvres nourris à l’herbe, avec ou sans pâturage, éventuellement engagés dans la transformation et la vente directe, constate Hugues Caillat, chercheurs à l’Inrae.
LE PARASITISME, ENJEU « CRITIQUE »
Certes, l’herbe pâturée bénéficie d’une « image positive », « améliore l’autonomie alimentaire » et limite l’exposition à la volatilité des prix des intrants. En revanche, elle suppose une « grande technicité », ne serait-ce que pour contrôler le parasitisme gastro-intestinal – « principal point critique, pour les éleveurs comme pour leur encadrement ». Elle occasionne aussi une « variabilité de la production laitière en fonction de la pousse de l’herbe ». Sans oublier que demeurent des « visions divergentes sur l’adaptation de la chèvre au pâturage ». Certains la considèrent comme un « animal cueilleur peu adapté à brouter et trop sensible au parasitisme », quand d’autres la décrivent comme « capable de pâturer et de se protéger contre le parasitisme en sélectionnant des plantes riches en tanins si elles sont mises à disposition ».
Faute de trancher définitivement la question, Hugues Caillat rapporte des travaux récents (2018 et 2019) montrant une « grande capacité des chèvres à pâturer efficacement des prairies multi-espèces dans le contexte du Grand Ouest : les chèvres ingèrent plus, en pourcentage de leur poids , plus vite et plus longtemps que les vaches. Elles ont une bonne capacité d’adaptation aux changements de gestion de pâturage, égale ou supérieure à celle des vaches (quantité d’herbe offerte, temps d’accès, suppression de l’abreuvement, toute première fois…) ». Il n’en demeure pas moins, continue le chercheur, qu’il « existe des freins et des appréhensions très fortes chez certains éleveurs à l’égard du pâturage ».
UN REVENU UNITAIRE PLUS ÉLEVÉ
Au-delà de la nécessité de fournir un fourrage de qualité aux animaux, « des marges d’amélioration existent pour chaque système. Un travail important doit encore être mené autour du pâturage : son pilotage, la gestion du parasitisme, un litrage suffisant par chèvre au risque, sinon, de pénaliser certains indicateurs environnementaux »(1), estime en substance Hugues Caillat. Dans l’affouragement en vert, le pilotage de l’herbe et la gestion de la mécanisation sont perfectibles. Avec l’enrubannage, la conservation du fourrage et la maîtrise de la ration peuvent progresser. Dans les systèmes foin, « les plus développés en caprins », la qualité du fourrage et la maîtrise de la ration en foin de luzerne sont à surveiller.
Sur un plan technique, les résultats recueillis dans une centaine d’exploitations caprines des réseaux d’élevage Inosys(2) caractérisent les systèmes “pâturage” par un effectif de chèvres, un rendement laitier et une quantité de concentré inférieurs à ceux des autres systèmes (voir tableau 1). En revanche, la part de fourrages et l’autonomie alimentaire y sont supérieures. Le produit de l’atelier caprin et la rémunération, rapportés au litre de lait, sont maximaux dans le système pâturage mais le revenu y est le plus faible (1,7 Smic par actif) en raison d’une moindre production (tableau 2).
BC
(1) La consommation d’énergie par litre de lait produit est la plus élevée dans les systèmes pâturage et pastoralisme alors que les émissions nettes de gaz à effet de serre y sont respectivement 2 et 4 fois plus faibles que dans les systèmes foin, enrubannage et affouragement en vert (environ 1 kg éqCO2/l), selon des données Inrae-Institut de l’élevage.
(2) Partenariat entre l’Institut de l’élevage et les Chambres d’agriculture
TABLEAU 1 – RÉSULTATS TECHNIQUES COMPARÉS
Pâturage | Vert | Enrubannage | Foins | |
Nombre d’élevages | 15 | 13 | 19 | 54 |
Nombre de chèvres | 186 | 353 | 297 | 302 |
Lait par chèvre
(litres/an) |
662 | 843 | 859 | 845 |
Concentrés
(kg/chèvre/an) |
356 | 459 | 498 | 521 |
Part de fourrage dans la ration | 69 % | 59 % | 55 % | 49 % |
Autonomie alimentaire | 71 % | 48 % | 58 % | 50 % |
Source : Inosys Réseaux d’élevage et Couprod 2017
TABLEAU 2 – RÉSULTATS ÉCONOMIQUES COMPARÉS
Pâturage | Vert | Enrubannage | Foin | |
Lait par chèvre
(litres/an) |
662 | 843 | 859 | 845 |
Aliments achetés
(€/chèvre) |
132 | 172 | 177 | 183 |
Aliments achetés
(€/1000 litres) |
200 | 204 | 206 | 217 |
Coût du système d’alimentation
(€/1000 litres) |
444 | 434 | 400 | 411 |
Produit atelier caprin
(€/1000 litres) |
1 008 | 897 | 878 | 865 |
Rémunération permise
(€/1000 litres) |
276 | 241 | 257 | 220 |
Nombre SMIC/UMO
(unité de main-d’oeuvre) |
1,7 | 2 | 2,1 | 2,1 |
Source : Inosys Réseaux d’élevage et Couprod 2017
HERBE = QUALITÉ DU LAIT
Des « références inédites » (2019 et 2020) sur les qualités des laits et des fromages de chèvre montrent que « l’ingestion d’herbe améliore la qualité nutritionnelle des laits de chèvre : plus de vitamines A et E, moins d’acides gras saturés, plus d’acides gras insaturés dont oméga 3 », rapporte Hugues Caillat. De plus, « l’ingestion d’herbe augmente les teneurs en composés ayant un effet sur la qualité sensorielle : plus d’acide octanoïque, bonne aptitude des laits à la transformation fromagère, qualités sensorielles des fromages lactiques affinés jugées très agréables par les consommateurs, notes ‘“chèvre’”, ‘“chèvrerie’”, ‘“animal’” plus marquées sur les fromages affinés issus des systèmes ‘“pâturage’”. »