Situé entre Sancerrois et Sologne, l’élevage du Pont cherche à concilier production de fromages AOP, vente directe et autonomie alimentaire. Le tout avec un cheptel conséquent, puisque ces éleveurs possèdent plus de 1 000 chèvres laitières.
Sur la commune de Jars (Cher), à quelques kilomètres de Sancerre, les frères Van Iersel réussissent à concilier la conduite d’un grand troupeau caprin avec la production de fromages AOP. Une association loin d’être évidente au premier abord ! Le cahier des charges de l’AOP Crottins de Chavignol leur impose de ne pas utiliser d’ensilage, de produire localement les fourrages et autres concentrés. Sans compter qu’une partie de leurs fromages est écoulée via le réseau Carrefour, dans le cadre d’une filière qualité interdisant l’utilisation d’OGM dans l’alimentation. Les contraintes ne manquent donc pas mais ces éleveurs, qui croient en leur filière, les acceptent puisqu’ils bénéficient, en contrepartie, de primes rémunératrices. Leur savoir-faire est également reconnu par les organismes bancaires qui leur ont accordé des lignes de crédits pour soutenir les investissements permettant d’agrandir la chèvrerie, avec notamment la construction d’un nouveau bâtiment, d’une nouvelle laiterie et d’une fromagerie qui va bientôt sortir de terre. L’ancienne maison familiale est en cours de conversion. Après avoir été le centre de la cellule familiale, elle va devenir le cœur de l’exploitation puisqu’elle abritera la fromagerie. « Nous transformons l’équivalent de 120 000 litres en crottins de Chavignol. Et nous souhaitons augmenter ce volume. L’objectif étant de transformer le quart de notre production laitière en fromage. Nous aspirons également à développer la vente directe », précise Patrick Van Iersel, l’un des trois associés du Gaec. Jusqu’à présent, les fromages sont commercialisés par un affineur, le reste du lait étant collecté par la société Triballat. « Nous avons conscience que notre grand troupeau pourrait susciter des interrogations de la part des consommateurs. Pour pallier tout préjugé, nous souhaitons communiquer auprès du grand public. Nous disposons ainsi d’une page Facebook. Lorsque les travaux d’agrandissement seront terminés, nous souhaitons organiser des portes ouvertes. L’obtention de la certification HVE (haute valeur environnementale) constitue également un élément supplémentaire pour répondre à ces interrogations ». Les éleveurs vont ainsi investir 1,8 million d’euros supplémentaires dans le développement de leur élevage. Les banques les suivent et leur font confiance pour mener à bien tous ces projets. « C’est d’autant plus appréciable que cela n’a pas toujours été le cas. En 2000, nous comptions 600 chèvres, 600 brebis et 150 ha et notre situation économique était délicate ».
Autonomie
Les éleveurs berrichons se sont remis en cause et ont fait appel à Yan Mathioux, nutritionniste indépendant, pour les aider à sortir de l’ornière. « Initialement, nous achetions tout à l’extérieur. Avec l’aide de Yan, nous avons effectué des corrections, notamment au niveau des rations, de l’assolement…Nous avons également investi dans des cellules de stockage à plat permettant de se faire livrer des matières premières en vrac ». De la luzerne et des prairies multi-espèces – avec des mélanges suisses pour le foin, le pâturage et un autre aux vertus plus mixtes – ont été semées. Les exploitants achètent aussi des matières premières (drêches, pulpe de betteraves surpressée…). Ils ont également investi dans une mélangeuse pour préparer les rations. Pour disposer de luzerne en quantité suffisante, ils passent des contrats auprès de céréaliers, qui leur permettent de sécuriser leur approvisionnement. « Les céréaliers sèment, nous récoltons pour nous assurer de la qualité ». Tout est répertorié, analysé et trié : « Nous cherchons à produire plus que nos besoins, ce qui nous permet de trier et de ne conserver que les meilleurs produits pour notre cheptel ». Ainsi, la qualité est toujours au rendez-vous. Ils produisent notamment des foins à 16 % de protéines et des enrubannages à 19-22 %. Pour récolter dans de bonnes conditions, ils ont investi dans un parc d’équipement conséquent, incluant une chaîne de fenaison qui assure un débit élevé. Parallèlement, pour amortir leur matériel, ils réalisent des travaux de prestation. Ils fauchent ainsi avec un combiné d’une largeur de 9,5 m, fanent en 12 m et andainent en 9 m. Ils possèdent également une presse à balles rondes. Pour amortir les coûts de récolte, ces éleveurs cherchent à maximiser les rendements. Pour la luzerne, ces coûts oscillent entre 30 et 80 € (80 € lorsque les rendements de luzerne plafonnent à 5 t).
930 kg de lait par chèvre
Après être passés par une période d’affouragement vert, les éleveurs misent désormais sur le foin pour réduire les à-coups qualitatifs et distribuer une ration stable tout au long de l’année Au final, la ration retenue permet de produire une moyenne de 930 kg de lait par chèvre. Le taux de réussite en première insémination culminant à 78 % (il est compris entre 74 et 78 %) témoigne également de la bonne conduite de l’élevage. Si les éleveurs ont privilégié dans un premier temps la production de fourrage de qualité, ils travaillent aussi activement à la production d’alternatives au soja. « La filière qualité Carrefour nous impose l’achat de soja non-OGM, dont le cours est actuellement prohibitif (770 €/la tonne) ». Ils travaillent notamment à la production de protéagineux et misent sur le pois, la féverole ou encore le lupin. « Nous avons déjà cultivé de la féverole de printemps et d’hiver. Les rendements restent très hétérogènes. Il manque cruellement de produits phytosanitaires homologués pour lutter contre les bactérioses et pour limiter le salissement de ces productions », déplore l’éleveur. Il leur reste à peaufiner l’itinéraire technique du lupin et notamment le désherbage. Pour la destruction des adventices, les frères privilégient le désherbage mécanique. Ils viennent d’ailleurs d’investir dans une bineuse autoguidée de marque Phenix. « Dans un souci de diminuer l’utilisation de produits phyto, l’acquisition de cette machine va nous permettre de développer le désherbage localisé sur les cultures en ligne et de diminuer l’utilisation de désherbant de l’ordre de 40 à 65 % suivant les cultures ». En se lançant dans l’autonomie, les frères Van Iersel n’ont eu de cesse d’innover, de se poser des questions et de trouver de nouvelles solutions. « La recherche de l’autonomie n’est pas toujours simple. Il faut sans cesse se remettre en question mais, pour rien au monde, je ne reviendrais en arrière. Notre situation économique est meilleure et notre métier est plus intéressant ! », conclut l’éleveur.
Erwan Le Duc
EN CHIFFRES…
LE GAEC DU PONT
– trois associés et 2 salariés (un temps plein et un autre à mi-temps) ;
- 435 ha dont 280 ha de céréales et 25 % de la surface en herbe : luzerne et prairies multi-espèces (mélange suisse) ;
- 1 080 chèvres de race Alpine produisant une moyenne de 930 kg/chèvre ;
- une production de 700 000 litres dont 120 000 sont transformés en fromages AOP Crottins de Chavignol le reste étant livré à Triballat pour la production de Crottins
- un atelier de viande ovine reposant sur un cheptel de 250 brebis de race Romane.