Hugues Ribiollet élève 180 chèvres dont le lait est transformé en fromage et, pour une large part, vendu à la ferme. Une spécialisation plutôt rare, mais porteuse, dans le bassin céréalier francilien.
En 2024, la ferme familiale, installée dans la « Grande rue » de Chauvry (Val-d’Oise), fêtera ses 100 ans. Sur les 230 ha, aujourd’hui traversés par la route nationale qui relie Cergy-Pontoise à l’aéroport de Roissy, le chef d’exploitation cultive du blé, de l’orge, du maïs, de la betterave, de la luzerne et du foin (30 ha). Jusqu’au début des années 1980, les bâtiments abritaient des vaches laitières et allaitantes qui, progressivement, ont été délaissées. Un classique dans les fermes d’Île-de-France. « La rentabilité était trop faible », résume Hugues Ribiollet.
À partir de 1977, un troupeau caprin a remplacé les bovins. Les Alpines ont été retenues pour leur capacité à produire du lait et aussi parce qu’elles « ne se salissent pas », constate l’éleveur. Les chèvres ont colonisé les anciennes étables où elles sont nourries de foin, de luzerne fraîche et d’un concentré maison à base de maïs-grain, d’orge, de pulpe sèche, de granulés de luzerne et de minéraux, avec une grande épaisseur de paille sous les pattes. La ferme possède sa propre fabrique de complément – « cela revient moins cher que les aliments du commerce » – et dispose d’un an de nourriture en stock. « L’alimentation de notre troupeau est traditionnelle et garantie sans OGM », précise un écriteau accroché en bonne place dans le magasin.
« Les clients veulent voir des animaux et des tracteurs »
Les chèvres sont traites matin et soir et produisent, en moyenne sur l’année, 900 kg de lait. La totalité de la production est transformée en fromages : 30 % sont commercialisés en demi-gros (livraison de magasins en Ile-de-France) et 70 % vendus sur la ferme : crottins et bûchettes proposés aux différents stades d’affinage (frais, crémeux, demi-sec, sec) et plusieurs fois récompensés au Concours général agricole à Paris. Des faisselles aussi, mais pas de yaourts. Un distributeur réfrigéré permet l’achat de fromages en dehors des heures d’ouverture au public. Mais cela ne remplace pas le magasin, qui écoule aussi les produits d’autres agriculteurs de la région (jus de fruits, bières artisanales, terrines…). Le panier d’achats moyen ne dépasse pas 4 € au distributeur, contre 16 € en magasin. Surtout, les clients qui font le déplacement à Chauvry recherchent autre chose que le seul produit, témoigne Hugues Ribiollet : « ils veulent voir des animaux et des tracteurs ». Il est d’ailleurs possible d’assister à la traite de l’après-midi.
La ferme accueille 500 à 700 clients par semaine, et couramment 200 le samedi ou le dimanche. Parmi eux, beaucoup de promeneurs venus des forêts de L’Isle-Adam et de Montmorency, toutes proches, qui, la notoriété de la ferme aidant, font le détour et apprécient de pouvoir venir en famille. « Cela me rappelle l’odeur de la laiterie de mes grands-parents », nous a témoigné une cliente régulière, qui vient aussi pour « la qualité des fromages et les prix. Sur le marché de l’Isle-Adam, ce matin, les bûches étaient vendues 8,75 € pièce. Ici, c’est 5,50 €. » Une ou deux fois par an, la large cour carrée accueille un marché fermier (le prochain aura lieu le 13 octobre) où il est possible d’acheter des produits locaux et de se restaurer. Ce jour-là, il arrive que 2 000 personnes franchissent le seuil de la ferme. « C’est compliqué côté stationnement », admet Hugues Ribiollet.
Une nouvelle chèvrerie dans les cartons
L’éleveur-agriculteur compte beaucoup sur les chèvres pour assurer la pérennité de son exploitation et garantir l’emploi des cinq salariés et deux apprentis. Ils seraient moitié moins nombreux à y être employés sans la transformation et la vente de fromages, évalue-t-il. Son principal projet du moment est la construction, d’ici un ou deux ans, d’une nouvelle chèvrerie, plus fonctionnelle que les bâtiments actuels, qui permettra d’accueillir davantage de chèvres et de leur ménager un accès direct à la « pâture de promenade ». Une construction en bois est envisagée, pour un coût de 300 000 euros, avec un soutien financier attendu de la Région Ile-de-France(1). Un montant conséquent qui dit l’engagement de l’éleveur dans l’activité caprine.
Car, pour le reste, il ne cache pas son désenchantement. « La rentabilité des grandes cultures a beaucoup baissé depuis cinq ou dix ans. Le prix du blé net éleveur ne dépasse pas 150 €/t. Le prix des betteraves a été divisé par deux. C’est 30 000 € de recettes en moins. Les aides Pac ont diminué de 150 €/ha – c’est encore une perte de 30 000 € sur ma ferme alors que les charges ont augmenté d’autant. À commencer par le prix des matériels. Au final, cela fait une différence de 90 000 € par an. Si vous ajoutez une fiscalité confiscatoire et des coûts de main-d’œuvre de 20 €/h, contre 5 €/t pour les Ukrainiens qui travaillent en Allemagne, vous comprenez que le découragement gagne dans les campagnes », résume l’éleveur installé « le plus près du siège parisien de la Fnec »(2), dont il est administrateur. Malgré ce contexte difficile pour les grandes cultures, « la fromagerie et la vente directe en magasin marchent plutôt bien » et assurent l’équilibre de l’exploitation.
Benoît Contour
- Le Nouveau pacte agricole adopté le 31 mai 2018 par la Région Ile-de-France comprend un Plan bâtiment qui « permettra de financer la réalisation des études préalables (faisabilité, diagnostics) et les investissements matériels (constructions, rénovations) afin d’accélérer la diversification et d’accroître l’autonomie des exploitations : silos de céréales, ateliers d’élevage, ateliers de stockage et de transformation, etc. »
- Fnec : Fédération nationale des éleveurs de chèvres
((encadré))
EN CHIFFRES…
La Chèvrerie de Chauvry (Val-d’Oise)
- Hugues Ribiollet, 5 salariés et 2 apprentis ;
- 230 ha (grandes cultures, herbe) ;
- 180 chèvres Alpines ;
- Traite épi 14 places ;
- Fabrication et vente de fromages à la ferme.